Faire rire, pour moi, ça n'a pas toujours été drôle

Faire rire, pour moi, ça n'a pas toujours été drôle
Publié le 04 avril 2023
Chroniques Parisiennes

Chaque mois, My Little Paris publie une manière de ressentir Paris, partagée par un Parisien ou une Parisienne. Aujourd'hui on donne la plume à Laura Domenge, humoriste sur France Inter qui donne les deux prochains mardis à la Scala un spectacle brillant qui va parler  à tous ceux qui manquent de sommeil, mais pas d'humour. Pour cette nouvelle chronique, elle nous raconte la vie parisienne des stand-up, le vertige de la scène, la peur du bide, le goût de la "bonne sueur", et tout ce qui l'a aidée à réaliser son "rêve parisien". 

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Ma mère est marocaine, mon père, niçois. Moi, je suis née à Paris, j’y ai grandi, et on peut dire que j’y vieillis. Même si 36 ans, c’est pas vieux, ok ? J’ai passé mon enfance dans le 6e arrondissement : mes souvenirs, mes fous rires, mes bobos, mes premières galoches, mes dernières soufflettes sont restées quelque part au jardin du Luxembourg. Au Luco comme on dit quand on est du tiek’.

 


En plus de leur boulot, mes parents étaient médecins de garde dans des salles de spectacle parisiennes : dès l’âge de 3 ans, j’ai été trimballée dans les concerts de reggae au Bataclan, dans tous les théâtres de boulevard, les comédies musicales au Mogador … A l’époque les salles de concert étaient fumeur, on ne portait pas de casque anti bruit, mais ça ne m’a jamais gêné, au contraire j’étais fascinée. Quand je me retrouvais en backstage, j’assistais à un deuxième spectacle : l’après. Ces artistes que j’avais vu si beaux sur scènes sortaient suintants et vidés mais je trouvais qu’ils sentaient « la bonne sueur ». Et puis je me demandais : ils font quoi, après leur spectacle ? C’est comme ça que, très jeune, j’ai pris goût à la vie nocturne … et c’est d’ailleurs peut-être à cause de ça que j’ai commencé à faire des insomnies, sujet de mon nouveau spectacle, par peur de laisser la nuit passer au lieu de la vivre.

 




Très jeune aussi, j’adorais imiter les gens, les “lambda”, ou ceux qui m’intimidaient. Mes parents, le pharmacien, les profs : j’étais inarrêtable. Mon premier public, c’était ma famille, puis mes potes. Moi, ça m’amusait, et eux ça les faisait marrer : tant mieux pour tout le monde. Mais après ça, il a fallu monter sur scène ailleurs que  dans ma chambre. Alors à 10 ans,  j’ai intégré « par hasard » une troupe de théâtre pro pour enfants.. J’y ai découvert le vertige de la scène, les potes à la vie à la mort, le trac, le maquillage, la bonne presse et la mauvaise… bref un peu le métier. C’était le vrai rêve. Comme une artiste,  je sentais moi aussi la « bonne sueur ». Mais  il  m’a fallu arrêter, étudier, et passer mon bac avant de pouvoir intégrer une école de théâtre. 

 

Voilà, j’ai 25 ans, je suis  “officiellement” comédienne. Bon. C’est ce que je dis, mais pas ce que je fais. Moi qui étais la chouchoute de mes profs d’art dramatique, j’erre dans Paris,  à auditionner sur des pièces ou des téléfilms vraiment pas terribles. J’ai envie de faire rire, de « dire des choses », mais je ne  trouve pas ma place et je ne sais même pas si j’en ai une. C’est sans compter sur mon ancien prof de théâtre, qui me met au défi en me disant qu’au lieu de me plaindre je ferai mieux de m’écrire des rôles. Ça me parle, alors je me mets à bosser. Je lui parle, il retranscrit, on corrige, on ne sait pas ce qu’on fait ni vers quoi on va, mais on rigole bien. 

C’était sans compter non plus sur une copine, qui me demande de  remplacer son spectacle pour un gala de charité. 
Ce à quoi je lui réponds :  « Mais je n’ ai pas de spectacle »
Ce à quoi elle me répond « Tu as trois semaines pour en avoir un »

Pendant trois semaines, j’ai tout donné, et c’est comme ça que je me suis retrouvée pour la première fois sur scène dans une salle des fêtes de village, avec un one woman show de 30 minutes. Mes sensations ? Une furieuse envie de disparaître dans le cosmos et d’y flotter jusqu’à ma mort. Mais Finalement, le public a ri, le public a applaudi et moi, à ma grande surprise, j’étais encore en vie. 

 

Mon spectacle complet, mon heure comme on dit dans l’métier, je l’ai fait dans un petit café théâtre du 20ème arrondissement. Une salle dans laquelle on entendait  plus le bruit des voitures et des gens qui boivent des coups que le son de ma voix. Je n’étais personne, et pourtant la salle était blindée. J’aurais dû me réjouir, et pourtant. Pourtant, j’ai eu envie de crever. Chaque fois que je montais sur scène , j’avais la peur du « bide ». Peur de décevoir. Peur d’être pathétique. Mais surtout, allez savoir pourquoi, peur  de ne pas survivre à l’épreuve de monter sur scène. Quand tu montes sur scène, tu fais la promesse aux gens qu’ils vont rire. Et parfois ton état ne colle pas avec la promesse. Par exemple, Le jour où j’ai perdu ma grand-mère, 5 minutes après l’avoir appris, je suis montée sur scène. Et j’ai dû faire rire, c’est le jeu.
J’étais tellement angoissée toutes les années où j’ai joué mon premier spectacle, que pour chaque représentation passée, il me fallait enchaîner sur une séance de psychanalyse. 
Pourtant ça se passait bien, mais je ne me sentais pas légitime, pas à la hauteur mais quelque chose me poussait à ne pas renoncer.




 

 

Ensuite, j’ai découvert  le stand-up, les Comedy clubs. Les humoristes qui se succèdent sur le plateau pendant 5 minutes, ils ont l’air forts et détendus, alors que moi je ronge mes doigts qui n’ont plus d’ongles. Je les enviais. Lors de mon premier passage, quand est venu mon tour de monter sur scène , j’ai courageusement fait demi-tour tellement je ne me sentais pas au niveau. Mais, trop orgueilleuse pour déclarer forfait, j’ai écrit, effacé, ré-écrit, observé les autres humoristes, décortiqué, analysé leur procédés. J’ai découvert cette façon de parler directement au public dans un micro main, j’ai désappris tout ce que j’avais appris dans les écoles de théâtre, et je me suis mise en quête de naturel, de spontanéité et surtout de vannes ! 

J’avais enfin compris l’astuce : tester mes blagues en jouant le plus possible sur des plateaux afin d'acquérir de l’expérience et dépasser la peur. J’étais allée trop vite en écrivant 1 heure d’un coup, il me fallait exister fortement sur 5 minutes seulement.  J’ai continué comme une droguée, enchaîné 3 plateaux par soir, Le Paname Art Café, le Tremplin du Point Virgule, les bars, le Jamel comedy club. Cette terreur ne m’a pas quittée pendant 4 ans, durée de vie de mon premier spectacle. 

 

Pour l’écriture de mon deuxième spectacle, Une Nuit avec, j’y suis allée détente, en acceptant ma vulnérabilité, et  avec la seule contrainte de m’amuser à chaque étape de création et de ne pas tricher : si j’ai peur, je le dis au public, si je suis contente d’une blague, je le dis. Mon credo c’est « Reste cool, après tout ce ne sont que des blagues »

 


Le jour de la première  à la Nouvelle Seine , je me souviens y être allée en confiance, et en curiosité. La peur a enfin laissé la place à l’envie, au plaisir et même à l’excitation de partager ce spectacle et de rencontrer des personnes qui pourraient l’aimer comme le “hater”. Et finalement ce qui est grisant chaque soir, désormais à La Scala, ce n’est pas tant de faire rire, que de dompter cette peur viscérale qui m’habite depuis bien trop longtemps. Faire rire un public n’est pas différent de chanter sur scène :  on peut savoir le faire très bien sous la douche et perdre complètement ses moyens devant des gens. Monter ‘on stage”, et faire rire les Parisiens, c’est un métier, un métier que j’ai appris et que je continue d’apprendre tous les jours. » 

Laura Domenge

On vous surconseille le spectacle Une nuit avec Laura Domenge, à la Scala, tous les mardis à 21h30, jusqu'au 25 avril
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