Sept balades sous couvre-feu
Lundi, 17h31.
C’est le premier jour de la semaine, j’ai voulu être à l’heure. J’ai l’impression de faire ma rentrée des classes. Je remonte la rue Riquet en m’attardant sur chaque graffiti, chaque mot laissé sur ses murs. Au numéro 6, je le constate : quelqu’un tient une espèce de journal intime pandémique sur le mur. Mai, juin, novembre 2020 : des souvenirs anonymes s’égrènent sous la mine d’un feutre bleu ou noir. Je reste plantée là, à tout lire, et je rentre chez moi.
Mardi, 17h34.
Sur les quais de la Loire, les gens boivent des verres de vin en faisant descendre et remonter leurs masques comme des ascenseurs. Assise sur un banc, pas trop loin, pas trop près, je les dévisage discrètement. Comment dévisager quelqu’un par les yeux ? Les éclats de rire me bercent. On ne voit peut-être plus les sourires, mais on entend toujours les fous-rires. C’est déjà ça de pris.
Mercredi, 17h41.
Pas le temps de niaiser, il me faut du café pour demain matin. Je trottine jusqu’à la Supérette, où se bousculent les acheteurs de bière, de céréales, de fromage, et de jus d’orange. Dans la queue pour la caisse, tout le monde regarde sa montre, s’agite sur son smartphone. C’est tout de même fou de se dire que les Parisien·nes sont encore plus stressé·es qu’avant. Le rythme effréné de cette ville n’a pas touché son plafond de verre : il volute encore.
Jeudi, 17h36.
Je m’assois près du pont qui lie les deux parties de la rue de Crimée, et je reste là, songeuse, à contempler les traces écrites des colleuses féministes. Chaque fois que je croise une de ces phrases, je sens comme la ville m’appartient. Comme elle m’accueille, à bras ouvert, comme elle se transforme.
Vendredi, 17h56.
Ça fait quoi de sortir pour 4 minutes d’air frais ? J’ai juste le temps d’écouter une chanson. Le casque vissé sur la tête, je prends dans mes bras Paris pour une danse. : “Tu vas rouler sous mes pieds, Paris, me donner l’impression de valser sur ton pavé”. Je calcule : 2 minutes jusqu’au bout de la rue, puis l’aller-retour. Retour à 18 heures précises : pari tenu, Paris ténu.
Samedi, 18h05.
Mince, je n’avais pas vu l’heure. J’ai perdu, comme une petite dizaine de personnes ici, la notion du temps. Derrière moi, ça joue à la pétanque, et le soleil se couche lentement. J’ai transgressé de cinq minutes la loi du couvre-feu, et un cocktail d’excitation et de culpabilité coule en moi. Je rentre chez moi en courant légèrement, revigorée par ce moment volé, par ces quelques minutes arrachées au cycle pandémique.
Dimanche, 17h25.
7 jours de balades, 7 coquillages, et 7 ans d'amours passionnés et contrariés plus tard, une chose est sûre : cette ville et moi, on a toujours des tas de choses à se dire. Alors je me promets et je te promets, Paris : promenade ou pas promenade, je garderai toujours l'œil ouvert pour mieux continuer à t'aimer. Même quand tu te transformes, même quand tu me fais ch****. Parce que dans le fond, on est presque un vieux couple toi et moi, pas vrai ?
Inès Sarah Maalèj a 28 ans et vit (enfin) à Paris. Poétesse et artiste multimédia, elle écrit et compose au stylo ou à la voix des poèmes introuvables sur internet ou ailleurs (pour le moment).
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